La flamme du dragon et la bave des crapauds
Considérations sur l’évolution contemporaine de la Chine
MARION Christophe
article paru le 23 aout dans legrandsoir.infoA
l’approche des Jeux Olympiques de Pékin, la campagne anti-chinoise
redouble d’intensité et de violence dans les médias occidentaux. Il
n’est désormais point de journée où les médias ne focalisent leur
attention de façon critique sur tel ou tel aspect de la préparation de
l’événement. Cette lancinante et obsessionnelle campagne fait écho et
continuum avec la flambée de critiques survenue lors des événements du
Tibet, en mars 2008. Elle s’était alors cristallisée sur le passage de
la flamme olympique dans un certain nombre de capitales occidentales.Pour
les instigateurs de ces philippiques anti-chinoises, il s’agit tout
d’abord de priver la Chine par anticipation, du prestige que confère
habituellement l’organisation d’un tel événement au pays qui
l’accueille.
Pour autant, ces manifestations, d’évidence
magnifiées et médiatiquement surexposées, porte une signification qui
va bien au-delà du caractère ponctuel des événements récents. En effet
le tropisme anti-chinois s’inscrit dans une posture permanente des
élites occidentales à l’égard de la Chine. La mise en accusation des
régimes asiatiques est un élément constant et récurrent de la
rhétorique des dirigeants occidentaux. Aux USA, on appelle cela le
China bashing, américanisme que l’on pourrait traduire par « taper sur
la Chine » ou plus prosaïquement « casser du chinois », qui a pris le
relais du Japan bashing des années 1980 -1990 où l’hystérie
anti-japonaise atteint son paroxysme au moment des Accords de Plazza. (
1)
Cette
hostilité revêt dans le cas de la Chine une dimension supplémentaire,
liée à la présence au pouvoir du Parti communiste dans ce pays.
Formatée par des décennies d’anti-soviétisme, la presse occidentale -
pour laquelle les régimes communistes sont ontologiquement criminogènes
-, retrouve avec la Chine de quoi pallier l’état de manque addictif
dans lequel elle se trouvait depuis le démantèlement de l’Union
soviétique.
La Chine se trouve accusée de tous les maux. Ses
contempteurs mettent en avant l’accusation majeure selon laquelle elle
n’est pas un partenaire loyal, car elle utiliserait à son profit les
mécanismes du marché et du commerce international sans se rallier
véritablement aux règles du libre-échange. Ces pratiques, qualifiées de
néo-mercantilistes, placeraient la Chine dans une position d’avantage
comparatif asymétrique. Son mode de développement contribuerait à
évider l’appareil industriel des USA et de l’Europe et ferait de ce
pays un des principaux responsables de la stagnation économique des
nations occidentales. Enfin, les attaques du régime chinois pour son
autoritarisme et son non-respect des droits de l’homme, pour
répétitives et obsessionnelles qu’elles soient, ne sont invoquées que
pour draper le tout d’un voile vertueux, à prétention universaliste. La
plupart des peuples asiatiques ont pu goûter dans leur histoire,
lorsqu’ils subissaient le joug colonial européen, aux bienfaits de la
politique des droits-de-l’homme à la sauce européenne.
Cette
campagne intervient dans un contexte marqué par une forte dégradation
de l’environnement économique international. L’essoufflement de
l’activité américaine conjugué à l’atonie européenne a provoqué un
retournement du cycle de croissance de la décennie antérieure et rien
n’indique que la crise financière déclenchée l’automne dernier aux USA
ne prenne un caractère systémique, ou plus exactement tout indique
qu’elle peut revêtir, à tout moment, un effet de contagion globale. Sur
ce plan, la crise dite des « Subprimes » ne constitue qu’un des avatars
de la crise de suraccumulation à dominante financière qui secoue
périodiquement, avec des fréquences rapprochées, l’économie mondiale
depuis une dizaine d’années, depuis précisément le déclenchement de la
crise asiatique des années 1997 – 1998.
Si la plupart des
nations asiatiques ont retrouvé le chemin de la croissance, les nations
occidentales n’ont cessé de voir leur situation économique se dégrader,
entraînant dans leur sillage la plupart des économies du monde.
Cette
situation de crise endémique tranche singulièrement avec le processus
de croissance et de développement que connaissent l’Asie et ses deux
nations les plus peuplées que sont la Chine et l’Inde, Chindia, pour
reprendre le néologisme en vogue chez les nouveaux experts de
l’asiatologie. Ces deux nations, qui rappelons-le comptent pour plus de
40% de la population mondiale, sont les deux champions de la croissance
avec respectivement 11.4% pour la Chine et 9.4% pour l’Inde en 2007.
Mais
c’est la progression spectaculaire de l’économie chinoise qui reste
indéniablement l’élément majeur de l’évolution récente. En l’espace
d’une seule génération, ce pays est devenu un acteur décisif de
l’espace asiatique mais aussi de la donne économique mondiale. Son
évolution a un effet d’entraînement sur la région et contribue à
façonner l’amorce d’une nouvelle économie-monde à dominante asiatique.
Il
est indubitable qu’à la suite des nations asiatiques et dans le sillage
du Japon, la Chine connaît une phase de croissance élevée et soutenue
sur une longue période. Ces transformations sont d’autant plus
remarquables qu’elles se sont accomplies en un laps de temps
historiquement bref. Ce développement impétueux qui confère à la Chine
et à l’Asie orientale le statut de pôle potentiellement dominant des
décennies à venir, n’est pourtant ni le fruit d’un essor spontané, ni
le résultat d’un processus exclusivement endogène.
Il est devenu
commun de présenter cette évolution comme la conséquence de la mise en
place, à partir de 1978, de la politique dite des « 4 modernisations »,
et notamment l’ouverture, à partir de 1984 des « Zones économiques
spéciales », zones franches ou Export Processing Zones, dotées d’un
cadre réglementaire favorisant l’accueil des IDE (Investissement Direct
Etranger). Rappelons d’abord que peu de gens prêtaient attention à la
réforme économique chinoise, si ce n’est pour en prédire l’échec
certain. S’il est toutefois incontestable que cette politique
d’attraction du capital et de la technologie étrangère a constitué le
facteur accélérateur de la spirale de développement que le pays
connaît, il importe de la ressaisir dans les conditions générales
d’ensemble et notamment l’arrière plan historique sur lesquels il s’est
fondé.
C’est lors de l’arrivée au pouvoir du Parti communiste et
de Mao Ze Dong en 1949 que se situe la grande césure historique
contemporaine de la Chine, son entrée dans une ère de modernité, en
quelque sorte. Jusqu’alors, le pays stagnait dans un des régimes
féodaux les plus archaïques de la planète depuis plus d’un siècle
lorsque la dynastie des Qing (
2), en pleine
déliquescence, n’avait pu s’opposer à la mise en coupe réglée du pays
par les puissances occidentales. Les Traités inégaux imposés à leur
instigation faisait des chinois des citoyens de seconde zone dans leur
propre pays. L’essentiel des richesses était aux mains des légations
occidentales qui n’hésitaient pas à utiliser le langage de la
canonnière pour imposer leur ordre, comme lors de la révolte des Boxers
en 1900.
Le nouveau pouvoir communiste va révolutionner de fond
en comble ce rétrograde régime féodal et la Chine va entamer dés lors
une irrésistible trajectoire de développement. Certes, son évolution
fut contradictoire et parfois chaotique, comme le furent tous les
processus d’industrialisation rapide ; rappelons que moins d’un siècle
plus tôt, la révolution industrielle américaine provoqua la
quasi-extermination des populations autochtones, la mise en esclavage
de millions d’africains et la surexploitation des…coolies chinois,
expulsés du pays après la construction des chemins de fer. Ces
mutations permirent au pays de sortir du carcan féodal et de son
cortège de misère et d’analphabétisme massif. De plus, en l’espace
d’une seule génération, le pays accomplit une longue phase
d’accumulation qui a doté le pays d’un imposant appareil
infrastructurel, qui allait constituer un socle consistant pour amorcer
un régime d’accumulation plus intensif.
Plus que la croissance
mesurée par les agrégats physiques habituels (PIB/PNB) qui reste
incertaine, l’évolution des indicateurs « anthropologiques » nous
parait être plus révélatrice de l’ampleur des changements. Ainsi la
mortalité infantile (ce fléau endémique de l’Asie) a reculé de façon
considérable. L’espérance de vie est passée de 35 à 70 ans en trois
décennies, ce qui en dit long sur l’accès massif aux soins médicaux.
Enfin, la priorité donnée à l’éducation de masse a pratiquement
éradiqué l’analphabétisme. Ces transformations colossales, dans un pays
de cette taille, se sont accomplies dans le cadre d’un grand
égalitarisme social et régional. Or, il s’agit là de deux des
principales sources de la croissance ultérieure. Toutes les composantes
de cette nation continent ont bénéficié de ces progrès et plus
particulièrement la province du Tibet, tant idéalisé par les élites
occidentales d’aujourd’hui, qui disposait alors du régime social le
plus archaïque. C’est par ailleurs la résistance du pouvoir
théocratique local à ces changements qui provoqua le conflit de 1959 et
la fuite du Dalaï Lama.
C’est précisément tout le génie
politique de Deng Xiao Ping, ce vieux compagnon de la longue marche,
que d’avoir compris toutes les limites et les blocages d’un régime de
production prioritairement axé sur l’accumulation dans l’industrie
lourde, mais aussi d’avoir pressenti tout l’insondable potentiel de
développement qu’il recelait
Trois décennies plus loin, nous
retrouvons une Chine qui a accompli de nouvelles mutations comportant,
comme tout processus de développement, des pôles contradictoires et des
orientations complexes. A bien des égards, la Chine d’aujourd’hui est
devenue méconnaissable. Le processus d’industrialisation poursuit sa
progression mais change de nature. Principalement fondé au départ sur
les industries de main d’œuvre (Labor Using), l’appareil industriel est
passé à un nouveau stade de maturité, basé sur une montée en gamme
technologique, incorporant sans cesse plus de technologie et donc de
valeur ajoutée. Sans se constituer comme un pôle technologiquement
autonome, le pays prend des positions de plus en plus affirmées dans un
certain nombre de filières encore sous monopole occidental, il y a peu.
Il est en train d’endogénéiser les moteurs de la croissance que sont la
recherche et l’innovation. L’émergence de firmes multinationales
locales, ces Chaebols
(3) à la chinoise, capables de
déployer une stratégie de développement internationale et d’être des
Global Players, en constitue l’expression tangible.
Toutefois,
le reproche qui est fait à la Chine de capter l’essentiel des
investissements ne tient pas la route. Contrairement à une idée
répandue, ce n’est pas vers les marchés émergents que se tournent
prioritairement les investisseurs US et européens mais bien de façon
croisée. Plus de 50% du stock des IDE est basé en Europe et Bernard
Cassen
(4) rappelle que les seuls investissements US
aux Pays-Bas sont le double que ceux destinés au Mexique. Par ailleurs,
les principaux investisseurs étrangers en Chine proviennent de la
communauté chinoise en Asie.
S’il est vrai que l’on estime que
80% des 500 plus grandes firmes multinationales investissent en Chine,
les flux les plus importants proviennent de la diaspora chinoise en
Asie. Par ailleurs, 65% du commerce extérieur chinois est le fait de
réexportation pour le compte de ces mêmes multinationales. Ce n’est pas
le made in China qui en est la cause, ce sont ces mêmes firmes qui
utilisent le sol chinois en quête de meilleurs avantages comparatifs
(c’est-à-dire de perspectives de profits plus importantes). On
considère que la Chine récupère entre 20 et 25% du produit.
L’hypocrisie
occidentale atteint son paroxysme quand ces mêmes personnes se
répandent sur les plateaux des TV en péroraisons larmoyantes sur les
conditions de vie et de travail des salariés chinois. Dans un ouvrage
récent, Martine Bulard
(5) nous rapporte qu’à
l’occasion du débat sur le code de travail à l’Assemblée nationale
chinoise, le représentant de la commission européenne estimait qu’une
régulation trop stricte du travail pourrait amener les firmes
européennes à reconsidérer leurs activités en Chine. Lui faisant
chorus, la Chambre de commerce US à Shanghai a directement écrit à
l’Assemblée populaire pour faire retirer des dispositions jugées trop
sociales.
Nous touchons là un des aspects les plus
contradictoires du « Compromesso Storico » inauguré par Deng Xiao Ping.
Le processus de modernisation actuel est en effet complexe. Jeremy
Rifkin (
6) mentionne que les délocalisations ou
relocalisations d’activité sur le territoire chinois provoque aussi la
destruction d’emplois industriels en grand nombre et il estime cette
perte d’emplois industriels à 15 millions entre 1995 et 2002, soit 15%
de la main d’œuvre productive.
La direction du pays ne reste pas
inactive et si les médias occidentaux se donnaient la peine de rendre
compte de la réalité chinoise, beaucoup seraient étonnés de la richesse
et de l’intensité du débat public en Chine. Ainsi, le mot d’ordre
officiel « Pour une société harmonieuse » adopté par le dernier congrès
du PCC en 2007, ne fait pas mystère de la reconnaissance implicite par
le régime des contradictions que génèrent le régime de croissance
chinois et des risques de déstabilisation sociale qu’il implique. Mais
il est aussi l’expression d’une volonté politique clairement affiché de
donner à ce développement une perspective qui intègre l’ensemble de la
société chinoise.
Dans ce domaine aussi, les pourfendeurs du
régime ne reculent devant aucune posture schizophrénique. On fait
reproche au pouvoir de maintenir un secteur public démesurément grand
et vorace des fonds publics. C’est oublier que les grandes entreprises
publiques, les Danweï
(7) , continuent de jouer un
rôle de régulation sociale en offrant aux salariés toute une série de
services sociaux, y compris à ceux qui ont perdu leur emploi et qui
peuvent continuer de bénéficier de ces services, les Xiagang
(8)
. Il en va de même en ce qui concerne les mouvements migratoires à
l’intérieur du pays. C’est un autre sujet que nos vertueux médias se
complaisent à évoquer. On sait que les Mingong
(9),
migrants en provenance des provinces rurales, suscitent un intense
débat national et que l’adoption d’un statut nouveau est en discussion.
Par
ailleurs, depuis 1997 fonctionne un plan de coopération interrégionale
dans lequel chaque province riche doit parrainer une province pauvre en
lui proposant des investissements et une aide technologique. Ces
décisions subissent souvent des inflexions liées aux luttes sociales
existantes dans le pays, car la Chine est tout sauf le bloc socialement
monolithique que l’on se complaît à caricaturer.
Il faut
comprendre que ces critiques visent autre chose que les déficits
démocratiques et le manque de transparence du régime. Car ce qui est en
jeu au travers des attaques systématiques contre la Chine, est d’une
nature bien différente. En effet, les raisons essentielles des succès
économiques chinois tiennent à la nature de sa politique économique et
à la structure de son régime de production. Comme le note Joseph
Stiglitz
(10), ce sont les traits structurels de son
économie, et notamment la maîtrise de ses politiques budgétaires et
monétaires, la policy mix, qui a épargné à la Chine le souffle
déstabilisateur que fut la crise financière asiatique de 1997 – 1998.
Il dresse le constat que l’étendue de la crise fut inversement
proportionnel au degré d’ouverture des économies, contrairement à ce
que ne cesse de clamer la doxa néo-libérale. Grâce au maintien du
contrôle des changes, le pays a pu se mettre à l’abri des effets de
contagion que la chute en cascade des monnaies voisines aurait
provoquées.
Non seulement la Chine a totalement évité la
récession mais elle a répondu à la crise en suivant une politique
contracyclique, c’est-à-dire une politique monétaire et budgétaire
expansionniste, Seul pays à avoir gardé le contrôle des changes et à
refuser les pressions du FMI, avec le Yuan arrimé au dollar, elle a
contribué à asseoir une certaine stabilité dans la région. Elle s’est
même permise d’accorder des prêts à intérêts réduits, ou des aides aux
pays voisins, gagnant ainsi leur confiance. En somme, comme le souligne
à nouveau J. Stiglitz
(11) , les pays qui réussirent
le mieux pendant et après la crise asiatique ont été ceux qui n’ont pas
suivi la recette standard du FMI et du Trésor US, donc en faisant
exactement le contraire de ce que ils imposaient aux autres pays de la
région. Elle a rétrospectivement gagné le bras de fer qui opposait les
pays de la région à la pax americana, symbole de l’ordre existant.
Ce
faisant, la Chine ne fait que renouer avec son histoire précoloniale et
retrouve progressivement la place qu’elle occupait avant 1800, quand
elle était un des cœurs de l’économie mondiale et la première puissance
manufacturière de la planète. Elle se trouvait alors au centre d’un
réseau dense d’échanges régional, établi depuis des siècles, l’Asie
étant la zone principale de production et de profit du monde. De
nombreuses études contemporaines concordent pour rappeler la
prééminence économique, technologique et commerciale de l’Empire du
milieu et de l’Asie en général. Et certains de rappeler que, au plus
fort de sa puissance, du XIe au XVIIe siècle, la Chine a possédé la
plus grande flotte du monde, disposé de réels atouts économiques et
technologiques, sans jamais avoir détruit ni peuples ni civilisations,
contrairement aux Européens Déjà, Adam Smith
(12) ,
indiquait en 1776, que : « La Chine est un pays bien plus riche que
toutes les contrées d’Europe ». Plus prés de nous, les études du grand
historien de l’économie, Paul Bairoch
(13),
montrent, qu’en 1750, l’Asie prise au sens large représentait 80% du
PNB mondial avec 66% de la population. Ce n’est qu’au milieu du 19ième
siècle que l’Euro Amérique s’est emparée du leadership. Comme le
souligne Philip Golub
(14), c’est à partir de la
colonisation, qui provoqua la fracture Nord-Sud et la création des «
tiers-mondes », fracture induite par la révolution industrielle
européenne et la colonisation, que la Chine et l’Asie perdirent leur
statut dominant Dans une perspective longue, la Chine, comme d’ailleurs
l’Asie dans son ensemble, serait donc en train de renouer avec leur
passé, après une brève interruption historique.
Pour les
dirigeants euro-américains, le modèle de croissance asiatique ne serait
plus adapté aux conditions nouvelles d’un monde globalisé, entendons
par là qu’il ne correspond pas aux besoins du cycle du capital des
firmes transnationales . Car ce qui est visé par les USA, le FMI et
autres, c’est non seulement les pressions pour la réévaluation du Yuan
comme ce fut le cas avec le Japon en 1985 et la Chine est maintenant à
son tour accusée de dumping monétaire, c’est à dire d’avoir une parité
sous évaluée qui serait à l’origine du déficit commercial des USA. Mais
il s’agit là d’une critique de forme car beaucoup redoutent le
possibles effets pervers d’une hausse excessive qui ferait baisser
d’autant le dollar.
Non, ce qui est visé va bien au-delà de la
question monétaire et comme le fait observer Philip. S. Golub (in «
Pékin s’impose dans une Asie convalescente », Le Monde diplomatique,
octobre 2003 ), ces critiques participe d’un véritable rapport de force
constitué de pressions intenses ayant en partie pour objet de
contraindre les nations asiatiques à :
«
Réévaluer leurs monnaies… et ouvrir leurs systèmes financiers au
commerce et aux investissements américains ».
Il s’agit de
tenter d’imposer à la Chine la libération de son compte de capital et
la fin du contrôle des changes, c’est-à-dire l’abandon de sa
souveraineté monétaire. En d’autres termes, on exige de la Chine
qu’elle fasse éclater « les cadres de contrôle étatique de son économie
», pour reprendre l’expression de Susan Strange
(15).
En effet, les énormes réserves accumulées, produit des excédents
commerciaux continus, ont généré un volume considérable de capital pur,
selon la terminologie de Michel Aglietta. Couplé avec un fort taux
d’épargne des ménages, ces excédents constituent une manne considérable
qui fait saliver tous les requins de la finance, en premier lieu les
banques occidentales qui font face à une grave crise de liquidité. De
là, les pressions pour que la Chine procède à la levée du contrôle des
changes qui permettrait de libérer les considérables réserves de change
accumulées par les banques chinoises et les rendre disponibles pour
satisfaire l’insatiable appétit des mécanismes du marché. La libération
de ces sommes se traduirait par une fuite accélérée des capitaux et un
renforcement des mouvements spéculatifs. Elle priverait la Chine,
d’après le principe d’incompatibilité du Triangle de Mundell
(16), de toute capacité de piloter son développement de façon autonome.
Voilà
le véritable enjeu du rapport de forces que le condominium
euro-américain tente d’imposer à la Chine et au reste du monde. On
comprendra plus facilement la récurrence obsessionnelle des thèmes liés
au manque de liberté qui n’est que la transposition métaphorique d’une
toute autre liberté, celle de la libre circulation totale du capital,
sans qu’aucune zone de la planète ne puisse en entraver le cycle
reproductif.
Le système économique mondial est fondé en effet
sur des bases que tout le monde s’accorde à trouver extrêmement
fragiles. L’économie américaine hégémonique depuis plus d’un
demi-siècle vit à crédit. Elle achète 50% de plus qu’elle ne vend à
l’étranger. Et ce sont les investisseurs internationaux qui, par leur
acquisition de bons du Trésor américains, financent le train de vie des
USA. Cet ajustement par le dollar présente l’avantage de reporter les
coûts sur le reste du monde, puisqu’il revient à prendre de la
croissance, des emplois et de l’épargne ailleurs. Un dollar anémique
favorise la compétitivité des produits fabriqués aux USA ; il rend les
achats d’actifs américains plus attrayants pour les investisseurs
étrangers et dévalue une dette extérieure estimée à 3 000 milliards de
dollars.
Dans ces conditions, la mondialisation financière
courante ne constitue qu’une formidable machine de drainage unilatéral
de l’épargne mondiale vers le centre mondial, sans engagement
institutionnel de recyclage des excédents ni de mécanisme monétaire
stabilisateur, maximisant intrinsèquement le risque non seulement de
liquidité, mais également de revenu, de marché, de système. Ce
mécanisme qui tend à s’auto reproduire a sans cesse toujours besoin de
capter l’épargne disponible ou au pire de la fabriquer ex-nihilo comme
l’a révélé la crise des subprimes.
Paul Krugman
(17)
rappelle que jusqu’à présent, il a existé un équilibre précaire entre
les besoins de financements extérieurs de l’économie américaine et les
excédents financiers asiatiques, japonais et chinois notamment. Mais on
peut s’interroger avec lui jusqu’à quand ce « Conte de fées » va durer
et quand une crise de déstabilisation générale surviendra ?
Ce
ne sont donc pas les économies asiatiques qui constituent la menace
majeure des emplois européens ou d’ailleurs. Il faut d’abord tordre le
cou au postulat selon lequel les délocalisations et la fuite des
capitaux seraient la cause de la stagnation économique en Europe. Car
les sociétés contemporaines ne sont pas malades de surconsommation,
comme le prétend la théorie libérale et monétariste, mais sont au
contraire victimes de l’insuffisance de la consommation et du
gonflement excessif de l’épargne. En effet, les actifs financiers
absorbent une part croissante de l’épargne aussi bien nationale
qu’internationale : l’épargne financière prélevait 31.9% de l’épargne
nationale en France en 1983, elle en prélève à présent près de 66%. Aux
Etats-Unis les actifs financiers captent à présent 84% de l’épargne
nationale.
Selon Kostas Vergopoulos
(18),
concentrés sur la finance, les investissements productifs se réduisent
à des niveaux tout à fait insuffisants et cela survient non pas parce
que les capitaux s’enfuient à l’étranger en vertu de la mondialisation,
mais parce qu’ils s’enfuient sur place, dans la sphère financière. La
délocalisation est un phénomène de nature organique, interne au procès
de transformation du capital, et non pas seulement géographique.
Diversement
baptisée « surproduction », « surcapacité » ou « suraccumulation »,
cette dynamique a provoqué la baisse des taux de croissance dans les
économies du centre et l’évaporation des bénéfices du secteur
industriel. Elle a fait de la spéculation financière mondiale la source
centrale du profit et de l’accumulation du capital. Elle porte
structurellement sa propre tendance à l’autodestruction du système.
Mais
alors que l’économie américaine vit à crédit et que sa contrepartie
européenne stagne globalement, la Chine et l’Asie orientale continuent
de progresser. Elle a connu, en l’espace d’une vingtaine d’années une
dynamique de croissance qui a transformé le pays en acteur majeur de
l’économie mondiale. Elle est en train de devenir le pôle structurant
d’un réseau d’échanges régional et a commencé à déployer une stratégie
visant à lui donner une stature de puissance mondiale de premier plan.
Elle
tire l’ensemble de l’économie mondiale et constitue un facteur
d’accélération de l’intégration économique régionale dont elle forme
désormais l’épicentre avec le Japon. Le succès grandissant du
dispositif ASEAN + 3
(19) se traduit par un politique
de concertation entre les nations asiatiques qui n’ont plus besoin
ainsi de médiation venue d’ailleurs pour traiter de leur questions
communes. Elles viennent de se doter d’un mécanisme monétaire régional
lors de le rencontre de Chang Maï
(20) , prémisse d’un FMI asiatique peut-être, affirmation très nette en tout cas du continent vis-à-vis de l’hégémon américain.
Le
pays veut contribuer à l’affirmation d’un monde polycentrique et ne
veut pas perdre la maîtrise des leviers de commande de son économie.
Elle ne le pourrait d’ailleurs pas, tant restent immenses les besoins
du pays. La situation des populations continue de s’améliorer avec une
baisse encore très sensible de la mortalité infantile. Le PNUD estime à
200 millions le nombre de chinois ayant accédé au statut de classe
moyenne.
L’ascension de la Chine hante l’imaginaire occidental.
Pourtant, comme le rappelle Paul Krugman, l’essentiel des échanges et
de l’activité sont concentrés au sein des entités continentales. Le
commerce avec l’Asie pèse moins de 10% de l’ensemble du commerce
extérieur de l’Union européenne et est inférieur à celui des autres
nations du continent non membres de l’Union. De plus, la plupart des
flux en provenance de Chine sont générés par les filiales asiatiques
des entreprises multinationales européennes. On comprendra que le China
bashing permet aux dirigeants occidentaux de se défausser d’une
situation qu’ils ont pourtant largement contribués à imposer.
La
volonté de poursuivre la route de croissance qui anime les nations
asiatiques devrait être pourtant considérée comme une opportunité
pleine de promesses dans un monde englué dans la stagnation depuis de
nombreuses années. Un monde en panne de croissance, de progrès et de
perspectives.
La Chine fait la démonstration aux yeux de tous
qu’il est désormais possible de commercer avec la superpuissance
américaine sans se faire écraser. De plus, aux antipodes de la
rhétorique néo-libérale, pro domo, elle a su conserver ses instruments
de régulation économique et sa pleine indépendance politique. Elle
constitue l’exemple à suivre et devient la référence pour de nombreuses
autres nations en proie aux affres du sous-développement.
L’ascension
de la Chine et de l’Asie orientale est en train d’instaurer un nouveau
paradigme dans l’économie politique internationale qui aboutira à terme
à une véritable transformation structurelle du monde. Il ne s’agit pas
pour autant d’idéaliser le pays et son orientation, tant est vaste le
champ de problématiques que génère son mode de développement qui est
aussi dans un rapport de dépendance avec la situation du monde. Philip
Golub
(21) note que le pays est certes devenu un
important centre d’accumulation de capital au niveau mondial, mais que
ses 1.300 milliards de dollars de réserves ne sont pas déployées sur le
plan productif, mais sur le plan financier, dans le rachat de dollars
et d’autres instruments financiers américains. Elle soutient ainsi
l’économie des Etats-Unis et d’une certaine manière… son effort de
guerre en Irak Il est clair que le développent chinois, du reste comme
ailleurs, doit se donner d’autres perspectives. Sur ce plan là, le pays
doit encore plus redéployer sa croissance sur la demande intérieure qui
constitue un champ inépuisable de développement.
L’Asie
orientale et la Chine bousculent effectivement le monde, surtout le
monde de ceux qui ne concevaient pas le développement en dehors de la
sphère occidentale. Cette transformation apporte un démenti à
l’ethnocentrisme occidental, selon lequel des déterminismes culturels
empêcheraient à jamais l’Orient, extrême ou pas, d’accéder à une
modernité conçue depuis la révolution industrielle européenne comme une
singularité occidentale.
Karine Postel Vinay
(22)
préconise par ailleurs que longtemps habitué à être le sujet pensant de
l’histoire des autres, l’Occident devra désormais repenser sa propre
histoire non plus comme une exception, mais comme un moment circonscrit
dans l’histoire universelle.
Le Président Mao aimait à
distinguer les contradictions principales et les contradictions
secondaires. Il renvoyait ainsi ses interlocuteurs de façon allusive à
l’immensité de la Chine et de sa population. Il invitait aussi à
prendre conscience que l’on ne peut probablement pas diriger une nation
qui compte près de 1.400 milliards d’habitants, soit 23 fois la
population de la France, comme on dirige la Confédération Helvétique.
Peu de temps avant sa mort en 1997, le président Deng Xiaoping tenait
conférence de presse à Beijing ; un journaliste occidental lui demanda
s’il ne comptait pas abroger le Houku, passeport intérieur qui
réglemente les déplacements à l’intérieur de la Chine et qui de fait,
aide à mieux les réguler. Le journaliste ajouta que cela contribuerait
ainsi à donner plus de liberté de circulation aux citoyens chinois à
l’intérieur de leur pays. Après un instant de réflexion, le malicieux
dirigeant chinois lui rétorqua :
« Combien de millions en prenez-vous ? »Sans
nul doute, la Chine a besoin de plus de libertés civiles et politiques,
comme le reste du monde d’ailleurs, y compris sa sphère occidentale, la
Suisse exceptée, peut-être. En éradiquant la famine qui frappait le
pays de façon pandémique et causée en grande partie par la domination
coloniale occidentale ; en insufflant au pays une dynamique de
croissance remarquable qui contribue à l’amélioration sensible de la
condition de vie de ses habitants, les dirigeants chinois ont, au cours
de ces soixante dernières années, œuvré pour les droits de l’homme
chinois, plus qu’aucune autre nation ne l’a fait à cette échelle de
grandeur et de façon aussi rapide. En apportant à la population un haut
niveau d’éducation, de soins médicaux et surtout en donnant à chacun
une perspective concrète dans l’existence, les dirigeants chinois n’ont
de leçon à recevoir de personne et surtout pas des dirigeants
occidentaux. Le développement de la Chine donne, en effet, un avenir à
chacun de ses habitants, dans leur propre pays, contribuant ainsi à la
stabilisation des mouvements migratoires internationaux. En cela, ils
contribuent au progrès de l’humanité toute entière.
C’est la
France qui a semblé être le pays où cette campagne s’est déployée de la
façon la plus virulente. Il est vrai qu’au pays de la « Fille aînée de
la Sainte Eglise des Droits de l’Homme », la rhétorique humaniste a
toujours pris un caractère obsessionnel. Les élites de ce pays, de
droite comme de gauche, continue de raisonner comme si l’Europe était
le centre du monde et la France, le centre de l’Europe. Pourtant, le
pays qui a soutenu Mobutu jusqu’à la fin et la sinistre bande des
génocideurs du Rwanda, n’est pas nécessairement le mieux placé pour
prêcher les droits de l’homme. Il n’est pas certain que l’arrogance et
la vanité française, conjuguées à sa prétention à faire la leçon à tout
le monde rendent son discours populaire en Europe comme ailleurs.
Quel
pitoyable spectacle de voir l’essentiel de la représentation politique
et plus particulièrement l’ensemble de la Gauche, dans toute l’étendue
de son spectre semble-t-il, se donner comme porte-parole un personnage
aussi suspect que provocateur en la personne de ce Robert Ménard.
Rendons ici hommage au sénateur socialiste français, Jean-luc
Mélenchon, auteur d’un texte remarquable suite aux événements du Tibet,
une des trop rare voix discordantes dans le consensus de médiocrité
régnant.
Le peuple chinois s’apprête à accueillir les prochains
Jeux Olympiques avec une immense fierté. Il pourra mesurer tout le
chemin parcouru depuis la période des Traités inégaux, encore ressentie
de façon humiliante de nos jours. On peut compter sur sa sagesse et
celle de ses dirigeants, héritiers d’une culture multimillénaire qui
faisait dire au grand écrivain allemand Wolfgang Von Goethe au début du
dix-neuvième siècle :
« Ces gens- là écrivaient des livres alors que nos ancêtres vivaient dans les forêts » Quant
aux dirigeants de la Chine, épigones des vingt dynasties qui ont
façonné l’Empire du Milieu (Zhongguo). Ils ne manqueront pas de
s’inspirer de la magnifique tradition philosophique chinoise, inaugurée
par Kǒng Fūzǐ (Confucius), il y a plus de 2500 ans. Ils pourraient
alors user de métaphores paraboliques si bien incarnées par leur langue
et leur merveilleuse écriture, pour aborder l’événement avec la
sérénité de ceux pour qui la sagesse est la principale des vertus. Ils
savent que la bave des crapauds ne peut éteindre la flamme du Dragon.
Il y a près de 25 siècles, alors que l’Europe de l’Ouest se trouvait en
plein néolithique, régnait en Chine la remarquable dynastie des Zhōu
(celle qui entama la construction de la grande muraille/-1050, -221).
Vers le cinquième siècle avant notre ère, le penseur chinois Sun Tzu
(ou Sun Zi) inventait la stratégie moderne. Contemporain de Confucius,
il publia de nombreux ouvrages qui font toujours autorité. L’un d’entre
eux est resté dans la postérité : « L’Art de la guerre ».
A
l’époque où les tribus européennes guerroyaient à coups de lance, Sun
Tzu explique comment la guerre est avant tout une question politique,
où il s’agit de contourner l’ennemi, retarder le moment de le
combattre, le laisser s’épuiser et se débattre dans ses contradictions
; en un mot :
« Le vaincre sans combattre »
VIVE LES JEUX OLYMPIQUES DE PEKIN !享有北京奥运会 !