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EST-CE AINSI QUE S’ECRIT L’HISTOIRE ?
La revue « Guerre d’Algérie, magazine » dans son numéro de décembre 2007-janvier, février 2008, consacre un dossier au bagne militaire de Timfouchy où de jeunes soldats français ont été internés pendant la guerre d’Algérie, en raison de leur refus de combattre le peuple algérien. Ce dossier relate notamment le calvaire de cinq appelés : Jean Clavel, Voltaire Develay, Lucien Fontenel, Paul Lefebvre et Marc Sagnier, jusqu’à ce que cette « section disciplinaire » soit supprimée à la suite, notamment, des interventions du Sénateur communiste Raymond Guyot.
Le texte signé de l’historien Jean-Charles Jauffret, Professeur à l’Institut d’Etudes politiques d’Aix en Provence me parait être un texte sérieux et honnête. Par contre, il est accompagné d’encadrés non signés, dont l’un intitulé : « Les lettres de Marc Sagnier » dans lequel on peut lire : « Marc Sagnier en veut à la direction du Parti, à « ceux du PC qui font ripaille, nous, nous crevons de faim » et regrette que son exemple et celui de ses camarades n’aient pas suscité de mouvement d’ensemble. » Marc était mon camarade à Aigues-Mortes où nous habitions. Nous étions tous les deux membres de la direction du Cercle de la Jeunesse communiste qui comptait alors plus de 70 adhérents. J’ai donc vécu de très près la décision de Marc (nous l’appelions Yvan) de refuser de prendre les armes et, après sa décision – qui fut personnelle – nous avons impulsé une intense et longue lutte pour sa libération, lutte à laquelle ont également participé le Secours populaire, le Parti communiste français et des élus socialistes comme le Dr. Jean Bastide qui adressa des colis de médicaments à Marc à Timfouchy. Par la suite, j’ai écrit son histoire dans « Les Gardois contre la guerre d’Algérie1 » et j’ai conservé, avec l’accord de sa famille, la photocopie de la totalité des 153 lettres qu’il a écrites à ses parents du 8 juin 1958 au 30 mars 1960, durant son incarcération et jusqu’à sa libération.
La phrase relative au PC m’a surpris. J’avais, en effet, en mémoire ses remerciements pour les collectes ; les colis que nous lui adressions ; les campagnes de signatures; les manifestations… J’ai donc relu la totalité de ses lettres et j’ai trouvé une correspondance à ses parents, datée du 24 novembre 1958, dans laquelle il écrivait : « En section spéciale les disciplinaires sont ici soi-disant parceque ce sont de mauvais soldats et je ne pense pas que ceux qui se disent de l’action psychologique aient l’intention d’en faire de bon soldats car ici tout est [fait] pour pourrir les cœurs (comme la guerre d’Algérie) pour chasser tout sentiment d’humanité et pendant que ceux du PC font ripaille, nous, nous crevons de faim. » (cette transcription reproduit, y compris ses rares fautes)
A de multiples reprises, Marc fera état de la faim des « insoumis », pendant que « ceux du PC font ripaille ». Le PC, c’est le poste de commandement militaire, « les chefs » et non pas le Parti communiste…Je reste confondu devant autant d’ignorance et de manque de sérieux dans le traitement d’archives. A moins que cette grossière interprétation ne soit volontaire ?
Dans une autre correspondance datée du 22 octobre 1959, il écrivait : « Ma position est toujours juste…C’est une position personnelle donc il ne faut pas regarder le résultat car ce n’est pas une véritable action politique. Il est vrai que je m’attendais à ce qu’il y ait beaucoup plus de jeunes qui refusent. » Mais à aucun moment il n’en fait le reproche au Parti communiste dont il écrira le 16 août 1959 : « Grâce à l’action du parti beaucoup de choses se sont améliorées ici…L’effectif de la S.S. a baissé de moitié et ça continu considérablement je crois que nous assistons à la dissolution de la S.S. » (transcription fidèle)
Je n’ose croire que Jean-Charles Jauffret, dont mon ami le Pr. Gilbert Meynier m’a toujours dit le plus grand bien, ait couvert ce mensonge de son autorité. Par contre la responsabilité de la revue est engagée. J’espère qu’elle publiera cette mise au point…
Bernard DESCHAMPS Ancien député
1Bernard Deschamps, Les Gardois contre la guerre d'Algérie, Pantin, Le temps des cerises, mars 2003.
Une seconde lettre de Bernard DESCHAMPS :
Par courriel en date du 26 février 2008, le Pr. Jean-Charles Jauffret me précise qu'il est l’auteur des lignes qui prétendent que Marc Sagnier, durant sa présence au bagne militaire de Timfouchy, a critiqué le Parti communiste qui « faisait ripaille », pendant que « lui crevait de faim ». Il s’appuie pour ce faire sur une phrase d’une correspondance de Marc où celui-ci parlait du « PC » et il maintient son interprétation : PC signifie Parti communiste.
J’ai donc réétudié l’ensemble des 153 lettres de Marc Sagnier et j’ai relevé qu’il utilise à sept autres reprises le sigle PC.
- Le 11 février 1959 : « Si ces messieurs du PC réfléchissaient, ils ne nous empêcheraient pas d’exprimer sur nos lettres des vérités que nous nous empresserons de faire connaître une fois dans le civil. Cette lettre vous parviendra sans passer sous leurs yeux et grâce à un copain qui est dans les bureaux et dont je vous tairai le nom car il ne veut pas que son père sache qu’il est en section spéciale. Il habite Bernis. [un village près d’Aigues-Mortes] »
- Le 18 mars 1959 : « Je la lui ai envoyée [une lettre] en la faisant passer par la censure du PC. Les autres je les avais confiées à un copain qui a été hospitalisé à Colomb-Béchar. »
- Le 8 avril 1959 : « …à tous les repas il y a de la gazelle. J’en suis dégoûté…Dans cette histoire c’est ceux du Pc qui se remplissent les poches car ils n’ont pas besoin d’acheter de la viande. »
- Le 3 mai 1959 : « Avant la réintégration d’un disciplinaire, la demande de réintégration est adressée par le PC d’ici à l’ancien corps le dernier ainsi qu’au Général. »
- Le 29 juillet 1959 : « Nous avons appris par des fuites que l’action est menée en France contre les sections spéciales et que des tracts sont arrivés ici destinés au PC. »
- Le 14 novembre 1959 : « je suis affecté à la compagnie du PC Bataillon…Comme dans tous les PC, il y a des conflits de jalousie entre les officiers. »
Le Pr. Jauffret peut-il encore prétendre que PC, pour Marc Sagnier, voulait dire Parti communiste ?
Quand il évoquait le Parti communiste dans ses lettres, Marc utilisait le plus souvent, en raison de la censure militaire dont il se plaignait, des expressions imagées telles que : « les copains de l’oncle d’Estelle », « le gendre d’Alexandre », « le voisin de monsieur Gros », et même pour les vieux communistes d’Aigues-Mortes : « les vieux aficionados » et quand il parlait en clair, dans les lettres qui partaient clandestinement, il disait : « le parti ». J’ai noté qu’il utilise treize fois cette appellation. A cette époque les militants communistes disaient : « le parti ». Ils ne disaient jamais ou rarement, « le PC ». Ce sigle était, par contre, systématiquement employé par des non communistes. Le sigle utilisé par les militants communistes était « PCF » qui, lui, ne faisait pas l’impasse sur le « F » de « Français » auquel ils tenaient par patriotisme. Le Pr. Jauffret ne peut ignorer cette précision sémantique…
La phrase incriminée et mal interprétée par J.C. Jauffret date du 24 novembre 1958. Le 15 septembre 1958, Marc écrivait : « c’est ce parti Communiste qui les gène, ce parti de la classe ouvrière qui défend toujours les vrais intérêts de la France et en qui la classe ouvrière et républicaine gardent entièrement leur confiance. »
Dans deux de ses lettres, Marc Sagnier, s’inquiète, c’est vrai, des bisbilles qui existaient alors entre certains communistes d’Aigues-Mortes. Mais ces problèmes n’avaient aucun rapport avec son refus de prendre les armes contre le Peuple algérien et je n'ai, dans ses lettres, relevé aucune critique du PCF à ce sujet. Je peux, par contre témoigner de ce que nous ne l’avons pas encouragé dans ce refus, car nous avions peur pour sa vie. Ce serait à refaire, mon attitude serait la même. Une telle décision, si lourde de risques, ne peut être, en effet, qu’une décision individuelle. Par contre nous nous sommes engagés sans réserve pour le défendre et exiger sa libération.
Bernard DESCHAMPS Ancien député
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